Henri Weimerskirch La Rochelle Université > Recherche et innovation > La Recherche à La Rochelle Université > Portraits de la Recherche > Henri Weimerskirch Publié le 15 janvier 2024 Henri Weimerskirch est directeur de Recherche et chercheur émérite au CNRS, au Centre d’Etudes Biologiques de Chizé. Henri Weimerskirch est chercheur émérite au CNRS, au Centre d’Etudes Biologiques de Chizé au sein de l’équipe « Equipe Prédateurs Marins ». Le mercredi 22 novembre 2023, il a reçu la Grande médaille Albert 1er, catégorie « science », qui récompense les personnes œuvrant pour la préservation des océans. L’occasion de revenir sur le parcours de ce chercheur de La Rochelle Université. Vous avez mené de nombreuses recherches dans les Terres Australes et Antarctiques Françaises. Pourquoi cette zone est-elle importante pour vous ? « J’ai passé des années en mission sur les îles océaniques un peu partout sur la planète, et je travaille effectivement dans l’Océan Austral depuis plus de 40 ans, en particulier sur Iles des Terres Australes et Antarctiques Françaises. Au fil des années ces terres isolées sont devenues pour moi des lieux exceptionnels pour l’étude des oiseaux marins et leurs liens avec l’Océan Austral. La facilité avec laquelle on peut travailler sur les animaux comme les manchots ou les albatros nous ont permis d’utiliser ces animaux comme indicateurs des changements globaux de l’océan austral. Après y avoir passé toutes ces missions sur ces territoires austères, en particulier à Crozet et Kerguelen, ces îles et leurs habitants comme les albatros resteront toujours dans mon cœur. » Depuis vos premières missions de terrain dans les années 1980, quels sont les principaux changements que vous avez pu observer sur cet écosystème ? « Les changements que j’ai pu observer au cours des 40 dernières années sont spectaculaires. Les paysages se sont transformés radicalement. Par exemple à Kerguelen la disparition progressive de la calotte glaciaire ou la diminution de la pluviométrie, dues au changement climatique transforme profondément les paysages, avec des conséquences souvent extrêmes pour les écosystèmes. L’introduction d’espèces animales (rats, chats, souris) et végétales menace de disparition de nombreuses espèces d’oiseaux et d’insectes. J’ai travaillé en particulier sur l’impact de la pêche sur les albatros et pétrels : le développement de la pêche à la palangre pour les thons et les légines australes a eu pour conséquences la diminution de nombreuses espèces en raison des captures accidentelles sur les lignes de pêche. Aujourd’hui, la famille d’oiseau la plus menacée est celle des albatros, en raison de ce type de pêche. Plus récemment, j’ai pu également montré que l’apparition de maladies comme le choléra aviaire menaçaient ces espèces. Malgré leur isolement ces écosystèmes ne sont pas à l’abri des activités humaines et de leurs conséquences. Les Terres Australes sont ainsi un laboratoire unique pour étudier les conséquences des bouleversements planétaires que nous vivons partout aujourd’hui. » Vous êtes également à l’origine d’une grande base de données reconnue mondialement sur les oiseaux marins. Pouvez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet ? « Dans les années 1960 des chercheurs du Muséum de Paris avaient commencé à baguer quelques espèces d’oiseaux de mer en Terre Adélie et à Crozet. Marquage et recapture ont été poursuivis sur ces sites jusque dans les années 1980 lorsque j’ai étendu ces suivis à d’autres sites (Kerguelen et Amsterdam) et à plus de 30 espèces d’oiseaux marins et de pinnipèdes et mis en place une base de données informatisée. Aujourd’hui, avec un suivi ininterrompu depuis plus de 40 ans pour certaines espèces, cette base de données unique au monde nous permet de mieux comprendre les effets des changements climatiques et des activités humaines sur ces espèces indicatrices de l’état de l’océan austral. » Pourriez-vous nous partager un moment marquant, un fait qui a marqué votre carrière d’un point de vue scientifique ? « Bien entendu de la cinquantaine de missions réalisés sur ces îles, je garde de nombreux souvenirs magnifiques, également de moments plus difficiles. Par exemple un des moments forts de ces missions a été dans les années 1990 lorsqu’après de mois de préparation nous avons pu réaliser pour la première fois sur un animal le suivi à l’aide de balises Argos. C’était à Crozet, sur mes oiseaux fétiches, les grands albatros. En plus d’être une première mondiale, les suivis ont permis de montrer les capacités spectaculaires de déplacement de ces oiseaux, mais également, grâce à la télémétrie de comprendre le déclin de ces oiseaux : leurs déplacements les amenaient à 2000km au nord de Crozet dans les eaux tropicales, où les femelles étaient capturées dans les lignes de pêches au thon asiatiques. Cette étude pionnière a été le démarrage de toutes les études télémétriques pour lesquelles le laboratoire de Chizé est connu mondialement aujourd’hui. Elle a permis également de mettre en évidence pour la première fois les effets délétères de ces pêcheries palangrières sur les oiseaux marins et le début d’un long combat pour essayer de réduire cette mortalité. Vingt ans plus tard le combat pour la préservation des albatros a fait de grands progrès, notamment dans les zones économiques autour des îles, mais dans les eaux internationales, le problème reste entier. »